Déserts médicaux : que pouvons-nous faire ?

Le terme des déserts médicaux est utilisé pour la première fois par Bernard Debré le 11 avril 1991 à l’Assemblée nationale. En 2019, le concept de désert médical, notion géographique et démographique, doit prendre en considération une nouvelle manière d’utiliser la technique et la médecine connectée, y compris la télémédecine.

La démographie médicale traverse une crise qui reflète le passage de relais entre deux générations de médecin. La féminisation de la profession est de plus en plus importante et les professionnels aspirent à une pratique plus équilibrée et saine, équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Le modèle du médecin traitant ne fait plus rêver. Le sacerdoce du médecin est dépassé.

La télémédecine au service de la santé pour tous

D’autre part, le patient est mis au centre du système de soins et devient acteur de sa santé. Madame la Ministre de la Santé l’a exposé avec son plan santé 2020-2022. Le patient participe, souvent avec intérêt, au développement de la télémédecine en comprenant les enjeux de cette nouvelle médecine. Il s’engage en devenant un partenaire à part entière du soignant.

Les deux partis, patient et médecin, faisant route commune, le développement de la santé connectée part du principe fondateur du gagnant-gagnant.

Les solutions proposées par la télémédecine pour lutter contre les déserts médicaux sont devenues multiples et gagnent en efficacité. Le partenariat public-privé s’organise et les barrières séparatrices « de secteur » tombent pour une médecine connectée transversale.

Une répartition des efforts est facilitée par la mise en commun de moyens (dossier médical personnalisé, téléconsultation, réseau, maillage territorial) et du personnel soignant. Les acteurs du territoire, en particulier les agences régionales de santé (ARS), se positionnent favorablement en faveur de ces modifications.

Des solutions d’ores-et-déjà en place en région

Plusieurs solutions sont proposées par différents acteurs privés et territoriaux, et on peut espérer une aide non négligeable dans une répartition plus harmonieuse des professionnels de santé sur le territoire.

Une expérience est réalisée au centre hospitalier de Troyes, dans l’Aube. Une des solutions propose de mettre en place un kiosque de téléconsultation, agrégeant eformation et télé-expertise, soit une approche organisationnelle nouvelle et efficace dans laquelle chaque acteur trouve sa place : aussi bien le médecin, l’infirmière que le médecin généraliste ou médecin traitant.

Cette mise en place d’un projet médical du territoire par spécialité, avec une équipe dédiée et des protocoles cliniques et organisationnels, permet aux médecins comme aux patients de bénéficier de technologies dans des zones de désertification médicale par une approche novatrice, comme l’apprentissage à distance.

Par exemple, une infirmière ou un interne dans un hôpital isolé reste auprès du patient. L’infirmière ou l’interne, par délégation de soins, bénéficie d’une expertise diagnostique à distance par un médecin confirmé ou un chirurgien, et d’une aide pour mettre en place une mini chirurgie simple.

Les objectifs visés par ce projet sont d’apporter une solution d’accès au diagnostic de qualité sur un territoire pauvre en offre de soins. Il permet ainsi de poser un diagnostic à distance sous contrôle d’un chirurgien confirmé.

L’autre objectif est d’optimiser les déplacements du chirurgien, lui permettant de réaliser les actes très spécialisés, en déléguant les tâches à des internes spécialistes ou des médecins non spécialistes ou encore à des infirmières sur des gestes de pratique quotidienne micro invasive.

Un apprentissage efficace par le biais de la e-formation

L’autre intérêt est de permettre le développement de la e-formation, à type de compagnonnage et ou de formation continue. Les infirmiers, internes, médecins généralistes peuvent ainsi utiliser des équipements simples et connectés permettant une mise en route d’un premier soin pour un patient. Cette solution correspond à un concept de bloc opératoire e-santé avec un support de formation (kiosque). Ce système permet d’intégrer des usages de plusieurs spécialités comme par exemple un kiosque connecté qui utilise un système de vidéo chirurgie.

Utiliser une infrastructure software globalisée sur l’établissement est accessible depuis n’importe quel endroit de la clinique, que ce soit dans le bureau du médecin, le bloc opératoire ou même la salle de réunion multidisciplinaire. Toutefois, le prérequis est d’avoir une connexion de qualité et hyper sécurisée pour pouvoir mettre en route rapidement des streaming vidéo. Attention : la connectique hospitalière doit suivre !

L’enregistrement des images ou des vidéos est facile avec l’identité du patient ainsi que le stockage sur un répertoire-réseau et sur le Pacs de l’établissement, permettant une relecture d’experts et un partage d’information en toute sécurité. Ce système nécessite toutefois une validation et des investissements nécessaires, en particulier par les centres hospitaliers.

Ce kiosque connecté permet d’optimiser le temps expert par une offre graduée de soins et une organisation de télémédecine entre hôpitaux, permettant un rapide apprentissage du médecin spécialiste aux internes ou aux personnels soignants et d’utiliser une technique diagnostique peu invasive. L’objectif serait d’aller vers des techniques plus invasives, avec par exemple le télé robot pour les résections transurétrales de prostate.

Le cabinet médical virtuel, un précieux gain de temps

Dans la région Grand Est, un maire a eu l’opportunité de mettre en place un cabinet médical virtuel. Cette idée est venue dans un esprit d’anticipation. En effet, les deux médecins installés dans la région doivent partir à la retraite dans 5 ans. L’anticipation reste une des recommandations des bonnes pratiques !

Le prérequis, là encore, est une couverture Internet favorable. Les zones blanches françaises pourraient cependant bénéficier de la téléconsultation par… téléphone !

Le maire explique que l’investissement de départ est de 40 000 €. Elle nécessite une coopération avec les patients. Cette cabine médicale virtuelle est facile d’accès, sans rendez-vous. Il existe quand même des réticences des personnes âgées en particulier dans le fait de développer une relation de confiance avec la cabine, et non plus avec son médecin de campagne. L’avantage certain est que la consultation est sans rendez-vous et que la cabine est disponible rapidement.

Possibilité pour tous d’accéder aux soins de spécialistes

Le grand espoir pour ces régions isolées est d’utiliser des plages horaires pour des consultation de spécialistes comme des ophtalmologistes, des gynécologues, des dermatologues, voire des psychiatres, ce qui ajoute une certaine valeur à cette solution.

Ce cabinet médical virtuel est occupé par une aide-soignante ou une infirmière, ce qui permet d’installer le patient, de le familiariser avec la visioconsultation, de lui faire les premiers gestes comme la prise de tension, le poids, la taille. Un début d’interrogatoire est également réalisé.

Ces cabines médicales virtuelles peuvent proposer des appareils en fonction de la pathologie comme un dermatoscope, un otoscope, un laryngoscope, une échographie Doppler, un stéthoscope électronique… D’autre part, l’utilisation d’outils logiciels et matériels (comme par exemple le dossier médical personnalisé) permet de regrouper toutes les informations pour les envoyer directement au médecin consultant en téléconsultation.

Des déploiements novateurs soutenus par l’ARS

L’agence régionale de santé et plusieurs associations de la région Grand Est sont favorables à ce genre de déploiement. On constate 550 téléconsultations déjà réalisées depuis 18 mois, ce qui est un très bon résultat sachant qu’il s’agit d’un bassin de vie de 1600 habitants.

Le recrutement des infirmières ou des aides-soignantes est basé sur le volontariat, et fait appel aussi aux professions libérales. Les infirmiers choisissent leur statut : vacataire avec un paiement au nombre d’heures ou en salariat avec un contrat à durée indéterminée. La pratique d’un paiement à l’acte pour les infirmiers libéraux est également proposée.

Ces cabines ont besoin de minimum deux infirmiers par jour. Le nombre plus important d’infirmiers ne compense pas la diminution du nombre de médecins, bien évidemment. Toutefois, c’est l’organisation mise en place qui compense de façon optimale. L’infirmier se charge du temps d’accueil, de la gestion administrative, ce qui libère du temps médical de qualité pour la télémédecine. Il faut compter 10 minutes de prise en charge par l’infirmier et 10 minutes de réponse par le médecin qui téléconsulte.

Cette idée rejoint la solution de l’équipe de l’Aube, avec la possibilité commune de délégation de tâches des soins soit par un médecin expert, soit par un infirmier.

Ces solutions sont soutenues par les ARS qui permettent de financer les expérimentations par des appels à projet. Pour la suite, d’autres négociations sont en cours avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie sur la rémunération de l’infirmier, permettant d’augmenter leur gain.

Les innovations organisationnelles avec une téléconsultation témoignent de l’engagement de médecin à médecin, ou de médecin à patient. On note également l’accueil favorable des patients dans l’innovation auprès de leur ville, et le pourcentage de satisfaction est encourageant pour les solutions de télé consultation. Le patient devient acteur, et prend en charge son état de santé.

Un projet de télé-AVC prometteur

Dans la région Bourgogne Franche-Comté et à Dijon, le projet de télé-AVC est très performant. Le professeur Maurice Giraud, neurologue, a réalisé cette expérimentation depuis 2003.

L’idée a germé sur le besoin de prise en charge des urgences des accidents vasculaires cérébraux, ainsi que dans le suivi des patients en retour à domicile. Ce réseau de télé AVC peut également être décliné pour les infarctus du myocarde, en particulier sur le groupe hospitalier territorial de la Côte-d’Or.

Actuellement, le maillage sur 21 hôpitaux de la région est prometteur. En 2017, 818 téléconsultations pour alerte AVC ont eu lieu, et 134 téléfibrinolyses ont été réalisées. La esanté est cruciale pour répondre à la problématique de l’infarctus cérébral dont le traitement doit être mis en œuvre le plus précocement possible (dans les 4h30 de survenue), surtout dans un territoire sous doté en neurologues et où le temps d’acheminement des patients vers les centres experts ne sont pas compatibles avec la mise en route du traitement.

Le retour à domicile des patients facilité

Le deuxième objectif de ce programme de télémédecine est le retour à domicile avec une prévention des réhospitalisations. En effet, 30 % des patients ayant eu des accidents vasculaires cérébraux reviennent à l’hôpital. Ce réseau de télémédecine en Bourgogne propose un bus avec des échographes embarqués et des examens réalisés par des infirmières qui se déplacent vers le domicile des personnes à mobilité réduite et permettent une détection des troubles. Si la constatation de thrombose est faite, le patient est réadmis en hospitalisation. Ce projet est en cours de financement par l’agence régionale de santé.

L’adhésion des médecins de ville est essentielle. Le corps médical est motivé et enthousiaste, et permet de faire du maillage large. Le partage d’informations médecin de ville-médecin hospitalier est un support essentiel au bon déroulement de la prise en charge.

Une communication plus rapide entre hôpitaux isolés

Le réseau télé AVC Bourgogne mis en place en 2012 permet de relier l’ensemble des hôpitaux de la région Bourgogne à deux unités de soins intensifs neurovasculaires. Tout patient présentant une suspicion d’accident vasculaire cérébral peut donc bénéficier d’un avis neuro-vasculaire expert en urgence, quel que soit son hôpital de proximité. Pour ce faire, le neurologue réalise une téléconsultation à distance, une teléexpertise de l’examen de radiologie pratiqué sur place et une éventuelle télé assistance à une thrombolyse intraveineuse si l’indication est retenue. Les acteurs impliqués sont les médecins régulateurs du SAMU, les urgentistes, les radiologues et les neurologues.

L’activité de télé AVC est désormais réalisée en routine. Les techniques utilisées sur la création d’un dossier médical servent de support à l’acte de télémédecine, à une visio consultation et à un transfert de l’imagerie. Toutes ces informations transitent par un réseau informatique sécurisé. Tous les services d’urgence sont équipés d’un chariot. Les deux unités de soins intensifs neuro-vasculaires disposent d’une station de télémédecine permettant de réaliser la téléconsultation et de visualiser l’imagerie.

Les freins et les difficultés rencontrés sont la coopération du personnel médical à de nouvelles pratiques. La fiabilité du matériel et les erreurs d’usage sont également des difficultés, mais l’amélioration progressive au fil de la mise en place et de l’utilisation sont prometteuses.

Partage de compétences

Ce partage de compétences donne une possibilité de sortir de l’isolement toute structure de soins et rassure les médecins seuls dans leurs établissements. Ces solutions ouvrent des perspectives encourageantes de prise en charge optimale des pathologies aiguës graves. Le système est gagnant-gagnant. Le corps soignant est motivé et gratifié par les résultats sur la survie des patients et la qualité de soin procuré, les patients bénéficient d’outils innovants et la prévention est poursuivie à domicile.

Rendre les régions plus attractives

Une autre solution pour lutter contre les déserts médicaux est proposée par « le care des territoires oubliés ». Cette solution est décrite par le président de l’association SPS (Soins pour les Professionnels de Santé), le docteur Eric Henry.

39 % des soignants ont eu des idées suicidaires ! 50 territoires ruraux oubliés correspondent à une région de désert médical. Un désert, c’est très triste, alors qu’en réalité la campagne est magnifique ! Si les zones manquent d’actes médicaux, elle manque en réalité de tout : de la Poste, du centre des impôts, des tribunaux, d’école, etc. La connectique doit permettre de mettre fin à tout cela.

Avant de pouvoir espérer faire revenir les médecins sur ces zones, il est urgent de faire revenir d’abord l’acte médical, de la vie médicale, de la surveillance médicale, de la réorganisation interprofessionnelle.

Ces zones manquent également souvent d’être attractives professionnellement pour les jeunes citadins, en particulier pour les jeunes couples avec enfants. Le problème du travail du conjoint est posé. Par contre, cette notion d’attractivité est moins prégnante pour les médecins remplaçants ou les retraités actifs. Pour ceux-ci, c’est un challenge positif à relever. Ils ne cherchent qu’à s’engager dans des zones de désert médicaux pour aider leurs confrères.

Vers une révolution de la médecine

Depuis trois à cinq ans, de nouveaux acteurs sont apparus dans le monde de la santé. La collaboration hospitalière et libérale est engagée. Plusieurs acteurs se sont positionnés : des agendas en ligne, des outils connectés, des dossiers sur des clouds, sur des tablettes et des téléphones, des start-ups de remplacement médical, de sourds et malentendants pour la vision, d’équipement mobile en santé, des sociétés de télémédecine, d’intelligence artificielle. Et surtout l’envie des soignants de devenir mobiles, efficaces et engagés.

Il n’y a jamais eu autant d’outils à la disposition des soignants et des patients. Il reste à articuler ces différents intervenants pour libérer les médecins et les autres professionnels de santé afin d’exercer leur art de façon plus souple et plus fluide.

Depuis l’arrivée de la téléconsultation, une évolution ou une révolution de la médecine est engagée. Elle ouvre des perspectives et des solutions pour sortir de l’isolement les médecins en territoires oubliés.

Ces innovations sont motivantes et multiples : soit des cabinets médicaux déportés, des kiosques de bloc opératoire, des réseaux d’experts et de pathologie aiguë, jusqu’à une plateforme territoriale avec intelligence artificielle embarquée ou de remplacement médical. Le mariage intelligent des territoires et le respect des intervenants vont ré-humaniser la médecine. En ayant toujours à l’esprit que la technique est au service de l’humain

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