Début de levée de l’Omerta sur les violences sexuelles et sexistes pendant les études de médecine
Près de la moitié des étudiantes en médecine ont subi au cours de leurs études des violences à caractère sexiste ou sexuel. Des chiffres effarants qui ont été dévoilés suite à plusieurs enquêtes menées auprès des étudiants en santé. Pour comprendre comment de tels actes ont pu rester impunis pendant toutes ces années, il convient de connaître le milieu dans lequel évoluent les étudiants en médecine.
Une levée du silence, et des propositions concrètes sont plus que nécessaires pour mettre fin à ces pratiques dégradantes et dangereuses pour la santé mentale des internes déjà éprouvés par un rythme de travail infernal.
Depuis l’instauration de la hiérarchie hospitalière, les violences sexistes et sexuelles dans le parcours des étudiants en médecine sont “un phénomène majeur qu’on ne peut plus passer sous silence”, déclare le docteur Thierry Godeau, Président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des centres hospitaliers (FHF).
L’association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) dévoile une enquête au sujet des violences sexistes et sexuelles, retenant que près de la moitié des étudiantes en médecine ont subi au moins une fois au cours de leurs études des remarques sexistes.
Des violences perpétrées à l’hôpital ou à l’université
Selon cette enquête édifiante, 32% des étudiantes en médecine ont été victimes de harcèlement sexiste ou sexuel, et 15% ont déjà subi une agression sexuelle. Des violences perpétrées le plus souvent au sein de l’université mais aussi à l’hôpital, pendant les stages.
Ce chiffre effrayant semble être dû à la culture même des études de médecine. Il faut impérativement rompre la banalisation de ces violences. L’hôpital est loin d’être exemplaire…
Remarques sexistes, harcèlement, agressions, et même viols ont été reportés au cours de cette étude. Les internes ont tendance à minimiser les violences subies car ils baignent dans cet environnement depuis leurs premières années d’études, ce qui développe un seuil de tolérance absolument anormal.
Un entre-soi relationnel encouragé par le temps de travail et l’isolement des internes
L’esprit “bon enfant carabin” revendiqué par les étudiants en médecine doit être différencié du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles.
L’ambiance au sein des salles de garde entraîne des relations particulières, et 7% des viols y auraient été perpétrés. L’hôpital est un microcosme, une ville dans la ville. Le temps de travail des internes (60 heures par semaine) les isole de la vie extérieure, ce qui les amène à se fréquenter. Une tendance qui a été exacerbée pendant la crise sanitaire. L’entre-soi est central. Un peu comme les violences faites au sein des familles.
De plus, le problème des violences sexistes et sexuelles est aussi le problème de la domination avec l’esprit du “mandarinat”, coutume hospitalière ancienne.
Bon à savoir : Qu’est-ce que le mandarinat ? Il s’agit d’un ensemble de personnes prétendant former une classe à part et une caste privilégiée, comme un groupe basé sur la méritocratie et les privilèges.
Heureusement, cette pratique a beaucoup évolué depuis les 10 dernières années avec une nette diminution de la mainmise du chef de service. Toutefois, les pouvoirs des chefs de service sont centralisés. Les chefs de service sont à la fois cliniciens, managers, enseignants, tuteurs et maîtres de thèse.
Une omerta généralisée dans les petits services
Dans les petits services ou dans les régions avec peu de services spécialisés, les internes sont amenés à revenir dans le service durant leur internat, et si une violence est pratiquée, l’omerta existe. Il n’y a pas d’ouverture vers l’extérieur. En effet, le plan de carrière peut dépendre du chef de service.
Des procédures disciplinaires floues
Il existe plusieurs types de sanctions pour un professeur d’université et praticien hospitalier ayant pratiqué des violences, mais elles sont diluées dans différents secteurs : les sanctions universitaires (et ou hospitalières) et ou ordinales, voire pénales.
Très peu de procédures sont en place. Les sévices sont poursuivis d’année en année, et les chefs de service sont très peu révocables.
Les internes se transmettent les services à problèmes. 20% des internes en parlent à leurs collègues pour le prochain stage, mais sans aucune ouverture vers l’extérieur. De plus, les agréments d’accueil d’internes dans un service sont très rarement enlevés. La réaffectation des internes et des étudiants ayant subi des agressions dans d’autres services est difficile à organiser.
Combattre ces violences : l’affaire de tous
Toutefois, Morgan Caillault, Président de l’ISNAR-IMG, combat cette banalisation. Gaëtan Casanova, président de l’ISNI, est également au sein de cette action.
L’ensemble des syndicats des internes se battent pour dénoncer les violences subies par les étudiantes et étudiants en médecine générale. Le débat sur les violences sexistes et sexuelles est plus visible aujourd’hui, mais reste encore anecdotique.
Plusieurs professeurs d’université ont affirmé leur volonté de travailler ensemble sur ces questions. Pour Quentin Henaff, responsable adjoint au pôle ressources humaines de la fédération hospitalière de France (FHF), cette étude montre que les violences sexistes et sexuelles est l’affaire de tous et rappelle un accord interprofessionnel sur l’égalité homme/femme signé en 2018.
L’association nationale des étudiants en médecine de France a fait 20 propositions permettant d’ouvrir le débat et d’accélérer cette prise en charge.
Plus de la moitié des étudiantes en médecine victimes de remarques sexistes
L’enquête réalisée par ISNAR-IMG a été construite par le bureau 2019-2020 de l’association d’étudiants, et diffusée du 8 mars au 30 avril 2020. Elle a été travaillée autour de trois grands axes :
- les problématiques de violences sexistes et sexuelles en stage
- ces même problématiques au sein de la vie étudiante
- les conséquences de ces violences sur la vie des étudiants ainsi que leurs opinions, propositions et témoignages sur cette problématique
Près de 4200 étudiants ont répondu au volet hospitalier.
39 % des étudiants interrogés ont répondu oui à la question “Avez-vous déjà reçu des remarques sexistes à l’hôpital ?”. De ces 39%, il y a près de 50% de femmes qui ont subi au moins une fois au cours de leur parcours hospitalier ce genre de remarque.
La peur des représailles au coeur du manque de signalements
De plus, les étudiants ne signalent pas leur agression par peur des retombées qu’un signalement d’une agression sexuelle pourrait avoir sur leur vie personnelle ou professionnelle et 30 % d’entre eux pensent que ça ne sert à rien de signaler.
Un plan d’action amorcé par le gouvernement
Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation a déclaré : “Avec Olivier Véran (ministre des solidarités et de la santé), nous allons adresser une lettre à tous les doyens, enseignants, maître de stage, directeur d’établissement de santé et médico-sociaux pour rappeler l’indispensable bienveillance vis-à-vis des étudiants en santé et la tolérance zéro vis-à-vis de ces violences inadmissibles.”
Les propositions du plan d’action, comme par exemple la rédaction d’une charte de bonnes pratiques opposable à tous les maîtres de stage, au positionnement de centre de recueil de témoignages, à la possibilité de réaffecter les étudiants dans d’autres terrains de stage lorsqu’une situation à risque est mise à jour.
Le président de Isnar MG a présenté des propositions, parmi lesquelles celle de créer une structure indépendante avec un appui juridique permettant un signalement anonyme du harcèlement. En cas de réaffectation des internes, il faut que le stage de l’interne reste valide pour ne pas que celui-ci perde six mois.
Les violences sexistes et sexuelles semblent avoir l’ambition d’être dénoncées avec une levée de l’omerta. La mise en place de procédures disciplinaires et judiciaires efficaces, indépendantes et immédiates avec une requalification de délit pourrait être en discussion.