Améliorer la communication entre les Sourds et les médecins

Alors que le port du masque, rempart essentiel contre la propagation du Covid-19, est rendu obligatoire « presque » partout, la communication se voit de plus en plus limitée. Un tournant dans la pratique de nos échanges que nous empruntons tant bien que mal, mais que nous savons impératif.

Et, qui dit « port du masque » dit « impossibilité de lire sur les lèvres » !

Les oubliés, et parmi les plus touchés et les plus impactés par cette nécessité de porter le masque, sont les sourds, les malentendants et notamment les personnes âgées, dont la surdité s’accroît avec l’âge, et parfois l’isolement. D’autres familles de handicap sont par ailleurs tout autant concernées par cette problématique, notamment les personnes avec un handicap intellectuel ou les personnes avec des troubles autistiques.

Combien sont-ils en France ? Selon la FNSF (Fédération Nationale des Sourds de France), on estime aujourd’hui à 5 millions le nombre de sourds et malentendants dans le pays, dont environ 250 000 locuteurs en LSF (langue des signes française).

Alors, comment interagir avec un Sourd s’il est dans l’incapacité de lire sur les lèvres ? Une problématique qui touche également la population soignante lorsqu’elle reçoit des patients sourds et malentendants, en consultation, en cabinet, aux urgences ou à l’hôpital.

On a beaucoup parlé d’un modèle de masque « transparent », avec une partie en plastique qui permet de voir la bouche de celui qui le porte (dit « masque inclusif ») ; une solution comme une autre de pallier le manque de visibilité des sourds et malentendants face à leurs interlocuteurs. Cette initiative est bien sûr à saluer, mais et elle ne résout que temporairement un problème de communication entre les sourds et malentendants et leurs médecins. De plus, aucun modèle n’est actuellement homologué pour un usage sanitaire.

La difficulté de communication avec les malentendants : un problème qui date depuis toujours

Le rapport de Dominique Gillot, vice-présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), constate avec sévérité que peu de praticiens, y compris les ORL, sont au fait des problèmes de communication que rencontrent les Sourds et les malentendants. Comment trouver une solution pérenne, et réellement faire évoluer la relation entre professionnel de santé et patient sourd et/ou malentendant ?

Quelles sont les règles à suivre pour améliorer la communication sourds/professionnels de santé ?

Docndoc propose d’enrichir la réflexion et quelques conseils afin de vous aider à accueillir correctement les patients sourds et malentendants (y compris les sujets âgés), et à mieux les accompagner dans leur parcours de soin. L’urgence se fait sentir en cette période de crise sanitaire.

La surdité ne se révèle que lorsque le rapport à l’autre est engagé. La personne entendante et parlante ne peut pas toujours se faire entendre de manière dite « normale » par un Sourd. De l’autre côté, une personne oraliste pourra très bien parler mais à la réception, elle sera en difficulté. Il y a des cas de médecins dont la langue maternelle est la LSF, mais ils restent rares. Le handicap demeure et doit être pris en compte.

C’est pour cette raison que Docndoc s’est associé à Mélanie Deaf, consciente des difficultés rencontrées avec le personnel soignant.

Mélanie est Sourde de naissance et a accepté de réaliser des vidéos tutorielles en langue des signes pour aider à une communication bilatérale. Celles-ci sont destinées à apprendre aux médecins et autres professionnels de santé les bases de la LSF, afin de mieux appréhender la prise en charge des patients sourds et malentendants, et de leur permettre d’engager un échange simple, efficace.

Elle signe et entraîne son « auditoire » avec les mots essentiels à une rencontre dans le cadre d’une consultation médicale, d’une consultation de kinésithérapie, ou bien d’un échange au comptoir d’une pharmacie.

L’attente en salle d’attente

Le parcours de soin habituel lors d’une visite chez le médecin traitant, ou chez un praticien tel qu’un kinésithérapeute ou un dentiste, ne convient pas à un patient sourd. En effet, et cette problématique s’est retrouvée exacerbée avec le port du masque obligatoire et les mesures d’hygiène dues au Covid-19, le praticien sort de sa salle d’examen pour appeler le patient suivant dans la salle d’attente. La même chose peut par ailleurs se voir lorsqu’un patient attend aux urgences de l’hôpital. Il est quasiment impossible pour un sourd, à moins d’être constamment sur le qui-vive, de savoir quand vient son tour…

Le parcours de soin patient sourd se complexifie actuellement avec la montée en puissance de la téléconsultation. Une problématique d’autant plus prégnante du fait de la difficulté à lire sur les lèvres de leur interlocuteur. Les patients sourds se retrouvent alors obligés de se rendre sur place lors des consultations, mêmes mineures.

Les conseils de Docndoc :

– 🪧 Utiliser une pancarte lorsqu’on va chercher un patient sourd en salle d’attente du cabinet, en hôpital ou aux urgences

– 📲 Envoyer un texto au patient pour lui indiquer qu’il est le prochain patient du cabinet, afin qu’il soit plus attentif aux allées et venues dans la salle d’attente

Mélanie vous apprend les phrases clé pour accueillir vos patients en salle d’attente de cabinet, ou des urgences à l’hôpital. Ainsi que les termes pour dire radio, IRM, échographie, etc… 👆

Quand la posologie pose problème

Certains patients sourds ne comprennent pas forcément le nom des médicaments qu’on leur conseille d’acheter, et se trompent même parfois dans la posologie.

Selon des enquêtes menées par le pharmacien Frédéric Pitetti dans le cadre de sa thèse, ceux-ci peuvent par exemple se retrouver perplexes devant une ordonnance libellée : « 3 cp par jour au moment des repas ». Il est même arrivé qu’un patient un peu scrupuleux ait été hospitalisé en urgence, parce qu’il avait avalé 3 comprimés d’inflammatoire à chaque repas !

Il n’est pas rare pour une personne sourde de devoir demander à ses collègues ou sa famille de lui expliquer clairement le contenu de l’ordonnance. Une pratique assez peu appréciée du fait de la confidentialité inhérente au dossier médical, qui n’est pas conservée quand un proche du patient est sollicité.

Les conseils de Docndoc :

– 💊 Imprimer un tableau de posologie spécifiquement dédié au patient sourd et/ou malentendant avec des signes afin de faciliter sa compréhension, le remplir avec lui et le lui donner à la fin de la consultation. Nous avons créé un tableau pour vous faciliter la tâche, à télécharger ci-dessous.

– ✍️ Ecrire les mots compliqués, les noms de médicaments ou de maladie pour s’assurer de la compréhension du patient

– 📅 Sur l’ordonnance délivrée au patient, remplacer la durée par des dates

– 🗣️ Cas extrême : Si l’écrit ne suffit pas, épeler le nom du médicament pour être certain qu’il ait bien compris

Mélanie vous apprend à épeler les noms des médicaments pour vos patients.

Le recours à l’écrit trop aléatoire

Le rapport des sourds à l’écrit est souvent difficile. Il ne s’agit pas d’analphabétisme, mais certains d’entre sont illettrés, même si ce n’est heureusement aujourd’hui plus la majorité. C’est pour cette raison que l’écrit n’est pas toujours la solution idéale, même si elle est bien souvent utilisée par les praticiens de toutes sortes pour pallier le manque d’oralité de la communication.

En cas de communication orale ou écrite entre un entendant et un Sourd profond, le message ne sera que partiellement compris par le Sourd. En effet, la lecture labiale ne permet de déchiffrer qu’entre 25 et 30% du discours de l’entendant. De nombreux mots donnent la même image labiale, comme « jambon », « chapeau », « chameau » et « Japon »

L’usage de l’écrit doit être fait avec précaution, car certains sourds ont des difficultés à comprendre un texte écrit. La syntaxe entre le français et la LSF peut être très différente. Afin de dire une phrase comme « J’ai mal à la jambe », un Sourd doit signer « Mal jambe moi ».

Et comme toute langue, la LSF subit des variations et évolue en incluant de nouveaux mots (par exemple : le mot « sida » dans les années 80, ou encore plus récemment le mot « coronavirus », inspiré de la manière dont il est signé au Japon). Elle comporte aussi des différences régionales et des niveaux de langue selon l’âge, la personnalité et le style du signeur (une alternative aux intonations diverses et caractéristiques de la voix d’une personne parlante).

Le signe se modifie aussi pour faire des transitions fluides entre le signe précédent, ou suivant, dans le discours, au même titre que les liaisons entre les mots ou des modifications grammaticales particulières rendent le discours plus agréable à entendre.

Il est donc difficile d’apprendre la LSF pour un non sourd, mais les professionnels de santé peuvent s’en servir comme un outil aidant pour compléter les autres modes de communication avec leurs patients.

Le conseil de Docndoc :

– 😷 Si votre patient est un sourd ou malentendant qui ne connait pas la langue des signes, mais lit aisément sur les lèvres : nous vous conseillons le port du masque inclusif afin que la communication soit plus fluide, et plus aisée pour lui/elle.

L’AAH et l’usage d’un interprète bilingue LSF/français

Certains sourds et malentendants reçoivent chaque mois des aides pour leur permettre de subvenir aux besoins spécifiques à leur handicap. Effectivement, il existe la la PCH (Prestation de Compensation du Handicap), versée par la MDPH, ainsi que l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), un complément de revenus mensuel, versé par la CAF.

Revalorisée en 2019 puis en 2020, l’attribution de l’AAH est soumise à certaines conditions. Par exemple, pour en bénéficier, les personnes doivent présenter une incapacité permanente d’au moins 80 %. Celle-ci peut autant servir à acheter une sonnette lumineuse et vibrante, alternative à la sonnette classique, à installer chez la personne sourde, ou bien louer les services d’un interprète lors de consultations médicales, dans les hôpitaux, chez le généraliste ou le spécialiste, le kinésithérapeute, le pharmacien…

Mais qu’en est-il réellement ? Selon la DREES, seulement 5 % des personnes entre 20 et 59 ans (et ayant des limitations fonctionnelles moyennes à totales) déclarent recevoir l’AAH. Ces chiffres étonnants montrent qu’il existe peu de Sourds avec les ressources financières pour pouvoir faire face aux inconvénients que leur impose leur handicap.

Lors des consultations, ceux qui n’ont pas accès au français oral ou écrit font souvent appel à une tierce personne comme un membre de la famille, ou un interprète professionnel. C’est souvent un véritable soulagement pour les patients d’être accompagnés par un interprète bilingue LSF/français oral, mais ce que les médecins ignorent bien souvent, c’est que les services de l’interprète sont à la charge du patient (en moyenne 70 euros/heure).

Certains patients ne connaissent pas l’existence d’une telle alternative, et se retrouvent seuls face aux professionnels de santé, sans possibilité réelle d’interagir. Ainsi, la communication directe entre praticiens et patients se résume trop souvent à des questions simples (« Vous avez compris ? »), auxquelles ils répondent sans avoir forcément compris.

L’accès à l’information en hôpital pour tous les Sourds, par transcription écrite ou avec l’aide d’un interprète bilingue en français/LSF, a par ailleurs été établi par l’article 78 de la loi du 11 février 2005. En 1995 ont été créées les UASS (Unités d’Accueil et de Soins pour Sourds), composées de personnel bilingue. Mais ces unités sont malheureusement encore trop peu nombreuses pour assurer une prise en charge partout en France.

Cette pratique de l’interprétariat peut également poser problème ; car en incorporant une tierce personne (et notamment quelqu’un de la famille) dans le parcours de soin d’un patient, ne va-t-on pas à l’encontre de la déontologie, du respect de la confidentialité ? Cependant, il est très important de faire savoir aux patients sourds qu’ils bénéficient de cette option pendant leurs consultations en cabinet ou à l’hôpital.

La solution idéale pour le patient sourd, serait d’être reçu par des professionnels de santé pratiquant la LSF. Bien sûr, la connaissance simultanée de la médecine et d’une langue nécessitant jusqu’à 3 ans d’études pour l’acquérir parfaitement est plus que limitée. C’est pour cette raison que nous proposons d’acquérir quelques bases de LSF afin de fluidifier l’échange entre médecin et patient.

Le conseil de Docndoc :

– 🤝 N’hésitez pas à dire aux patients Sourds qu’ils peuvent se faire accompagner par un interprète lors de leurs consultations, s’ils n’ont pas d’autre alternative.

Des professionnels de santé formés à la LSF

Les patients sourds souhaitent pour la plupart avoir un véritable échange avec leurs médecins, et pouvoir recevoir des informations précises et claires sur leur état de santé. Ils souffrent à l’idée de ne pas être compris par leurs praticiens, de passer à côté de conseils ou du diagnostic, et n’osent pas leur demander de répéter.

Le manque de vocabulaire médical fait également des Sourds une population vulnérable dans le système de santé actuel. Étant mis de côté par certaines campagnes de prévention à destination de la population entendante, leurs connaissances en matière de santé sont parfois même erronées, ce qui complique d’autant plus une relation praticien-patient déjà éprouvée.

La qualité de la communication entre les praticiens et les patients sourds dépend donc de la capacité d’adaptation des sourds, mais aussi de l’appréhension et de la maîtrise du handicap par les professionnels de santé qui les reçoivent.

La consultation des personnes sourdes et malentendantes en médecine générale, chez un spécialiste comme en hôpital, est depuis fort longtemps impactée par des difficultés à établir un dialogue de qualité entre professionnel de santé et patient. Ces difficultés ternissent bien souvent la relation médecin-patient, et sont ressenties par les sourds comme étant préjudiciables.

Le conseil de Docndoc :

– 👌 Apprendre les bases de la LSF, ou bien les mots et expressions les plus utiles dans le cadre d’une consultation.

– 🧏‍♀️ Respecter les règles de proxémie, particulièrement pour les pharmaciens au comptoir : ne pas vous approcher trop près du patient. Un éloignement suffisant permet l’expressivité et favorise une perception correcte du message. Il faut laisser la place aux gestes, permettre d’avoir un angle de vue suffisant.

Quelques outils supplémentaires

Si vous voulez aller plus loin, il existe de nombreuses plateformes permettant aux professionnels de santé de se former afin de mieux communiquer avec leurs patients handicapés et mieux les prendre en charge : des fiches-conseils, des formations, des webinaires, des repères pour le suivi médical, des points de vigilance clinique…

Nous en avons répertorié quatre, que vous pouvez retrouver plus bas :

1. Handiconnect.fr
2. SantéBD
3. Médipicto AP-HP
4. Traducmed

Bibliographie :

Soutenance de thèse de Frédéric Pitetti « La prise en charge du Sourd profond à l’officine »

Enquête « Comment les patients Sourds perçoivent-ils leur prise en charge en médecine générale » par Violaine Mauffrey, Thomas Berger, Philippe Hartemann, et Isabelle Bouillevaux

Mémoire de fin d’études de Cynthia Favre « Communication entre deux mondes : Relations amicales entre sourds et entendants »

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